L'ANGUILLE
 

Mes mains mouillées sont froides
à tirer sur les rames.
Dans l'aube qui s'enflamme,
je sens geler mon âme !

J'entends sonner huit heures
à Beuzeville-la-Bastille.
J'arrive, à la godille,
à ma pêcherie d'anguilles.

Ca grouille dans les bourraques,
ça frétille, ça s'enlace !
Ca lutte, ça grimace !
Adieu, mer des Sargasses !

Bienvenu chez moi, mes belles !
Sitôt tiré mes bottes,
ce soir, je vous mijote
flambées en matelote.

Ou bien en fricassée
à la sauce d'oseille,
avec une vieille bouteille.
Cré nom, quelle merveille !

Ou bien - et j'en salive -
au lard et en brochettes,
à la bonne franquette
près d'un grand feu en fête !

Un feu de bois : mon rêve !
Car le froid m'entortille
de la tête aux chevilles :
je ressemble à l'anguille !

 

© Daniel Bourdelès