VOGUE LA GABARE
 
 

Je relève mon col
au vent froid de la grève.
Bise en farandole,
salée sur mes lèvres,
folle sur la voile écartelée.

C'est ici qu'il meurt,
mon marais de noblesse.
A peine s'il affleure
sur la tangue épaisse
quand la mer a quitté le grand Vey.

Crache dans tes mains,
Vogue la gabare !
La tangue est d'argent
pour nous, pauvres gens !

La chemise mouillée
à tirer sur la corde,
mon matelot ployé
n'entend plus mes ordres,
bien trop en colère après le vent.

J'ai hâte de trinquer
à Saint-Sauveur, chez Jeanne,
avec les potiers,
adossé aux flammes
qui me sécheront le corps jusqu'au sang.

Tire le grelin,
vogue la gabare !
Les pots sont d'argent
pour nous, pauvres gens !

Au port de Liesville,
j'ai déplié ma toile 
sur les pots d'argile,
et roulé ma voile
pour ne pas que la pluie nous emporte.

L'hiver tape au ciel.
La Douve devient fleuve.
Sur son eau rebelle,
dure est la manoeuvre. 
Nos perches seront-elles assez fortes ?

Pousse sur ta gaule,
vogue la gabare !
Le temps est d'argent
pour nous, pauvres gens !

 

© Daniel Bourdelès / Groupe les Alberts - "Le silence des pluies", CD 1993.