LETTRE DE LA HAGUE




D'une pierre mouillée d'eau douce et d'eau salée,
je t'écris une lettre qui se voudrait chanson,
taillée à même l'air et à même l'embrun,
dure comme la terre du chemin des douaniers.

Sais-tu que les galets sont des amants fossiles,
statues abandonnées au hasard des marées ?
Sais-tu que les galets sont des grains de musique
joués à n'en plus finir par les vagues-orchestres ?

Tout au bout de la terre, la Hague est chevelure.
Combien d'accroche-coeurs sur son front de granit
emprisonnent les ports et le travail des hommes,
les pêches à venir, les bateaux revenus ?

Les barques retournées cachent à nos regards
leur sommeil impossible et leur envie de sel.
La mer est à l'envers, le temps d'une marée.
Les cordages sont secs comme des traits tirés.

La Hague est féminine jusqu'au bout de ses rocs.
Nous y mouillons nos rêves au creux de tous ses reins.
De l'oiseau vagabond à l'homme apprivoisé,
les poètes sont nés du ventre de la pierre.

 

© Daniel Bourdelès / Groupe les Alberts
Chandelles noires", album 33 tours, 1984 et "La Douve", CD 1997.
En écoute, une version guitare/voix en public non enregistrée sur disque.