COMME LES ORMES
 
 

Si tu croises mon village
sur un chemin de traverse,
pose alors tes bagages
pour un instant de tendresse.
On en fait le tour si vite
qu'on s'étonne qu'il ait un nom,
et puis l'on voit ces milliers de sillons
qui tirent ses limites.

On confond sous la mousse
les murs avec les talus.
Tu vois bien : l'herbe pousse
au milieu de la grand-rue.
On se dit que le verdure
pourrait l'engloutir à jamais,
mieux que la mer une île ou un rocher
et malgré ses clôtures.

Mon village, faut que je te dise,
est fait de pierres si dures
que le temps s'y épuise
à graver ses écorchures.
Dieu, combien de mariages
son clocher a-t-il en mémoire ?
Combien de cierges brûlés aux bougeoirs
et de deuils aux corsages ?

Après la messe huitaine,
on parle de l'héritier,
tout seul sur son domaine
faute de filles à marier !
Mon village, comme les ormes,
va-t-il mourir en chemin ?
La mauvaise herbe pousse dans les jardins
abandonnés des hommes.


 
 
© Daniel Bourdelès / Groupe les Alberts - "Les Cerfs-volants", album 33 tours, 1987
et "Le silence des pluies", CD 1993.